Des récoltes en chute libre sur la mer Noire
Les chiffres tombés cette nuit font trembler les minotiers :
- Les superficies semées en Ukraine pourraient plonger de 23 % sur un an, un niveau jamais vu depuis treize ans.
- Les prévisions les plus basses ramèneraient les exportations ukrainiennes à moins de la moitié de leur record de 2023.
- Côté russe, les premières estimations tablent sur 79 à 82 millions t (contre 92 millions deux ans plus tôt), assez pour tendre le marché si la météo reste capricieuse.
Selon les projections, le ratio stocks-utilisation des grands exportateurs pourrait glisser vers 14,7 %, proche du point critique observé en 2008. Même si l’Australie ou l’Argentine promettent des rendements corrects, la part du duo Russie-Ukraine, 30 % du commerce mondial, suffit à réécrire la carte des prix.
Ce que cela veut dire pour les familles de Niamey
Dans les quartiers populaires, le prix de la baguette est l’indicateur le plus suivi ; une hausse de 50 F CFA pèse lourd dans un budget où le pain reste la base du petit-déjeuner. Les conséquences s’annoncent concrètes :
- Pouvoir d’achat : un sac de 50 kg de farine coûtait 22 000 F CFA début avril ; il dépasse déjà 24 500 F chez plusieurs grossistes.
- Cantines scolaires : la Fédération des parents d’élèves alerte sur la possibilité de rationner ou d’augmenter les frais de repas dans les écoles publiques.
- Artisans boulangers : certains envisagent de réduire le poids des miches pour éviter de casser le « prix psychologique » de 250 F CFA.
« Si le sac passe à 27 000 F, on ne tiendra plus. On devra licencier ou fermer. »
— Abdoulaye, boulanger à Gamkalé
Pourquoi le Niger est si exposé
- Dépendance : plus de 80 % du blé moulu au Niger est importé, majoritairement via les ports du Bénin et du Togo.
- Change fragile : la chute du naira nigérian renchérit déjà la logistique terrestre.
- Faible stockage : les meuniers locaux gardent rarement plus de trois semaines de stock, faute de trésorerie.
La direction du Commerce intérieur reconnaît qu’un tampon de sécurité de 30 000 t n’a jamais été constitué depuis 2022. Avec le blé CBOT qui affiche des volumes d’échange en forte hausse, 65 000 contrats hier contre 43 000 la veille, le signal spéculatif risque d’aggraver la facture.
Les premières ripostes des autorités
- Exonération temporaire des droits sur les importations de farine « premier prix ».
- Négociations régionales pour des achats groupés via le Conseil de l’Entente afin de peser sur les traders.
- Accélération des moulins à riz locaux pour substituer partiellement le pain lors des cantines rurales.
La Fédération des boulangers plaide aussi pour un prix plafond national le temps que la prochaine récolte de céréales locales (mil, sorgho) arrive en août.
Les gestes des habitants pour tenir
- Acheter la pâte de mil prête à cuire, 20 % moins chère que la farine de blé.
- Mutualiser les fours de quartier pour réduire la consommation de gaz.
- Congeler le pain et cuire moins souvent.
« On s’entraide », confie Safiatou, mère de cinq enfants à Yantala Bas. « Une voisine me prête son four, moi je garde ses petits pendant qu’elle va chercher l’eau. »
Au-delà du pain : un enjeu de stabilité
Un précédent bond du pain en 2020 avait déclenché des manifestations à Zinder. Les autorités savent qu’en année de transition politique, touches pas au pain reste un slogan capable d’unir chauffeurs, vendeuses de légumes et fonctionnaires. Les prévisionnistes rappellent enfin que la soudure locale (juin-juillet) tombe avant la moisson mondiale : si les bateaux se raréfient sur l’Atlantique, la tension s’invitera au pire moment.
Dans la ruelle du Grand Marché, un vieux four enfume l’aube. Un enfant murmure en tenant sa baguette encore chaude : « S’il faut partager, on partagera. » Pour l’instant, c’est bien la solidarité qui cuit, tranche après tranche, dans chaque foyer.
0 Comments